Voyage vers l'inconnu

Et voilà, une nouvelle rentrée à Poudlard... La sixième de Laureleen pour être exacte. Ce n'était pas vraiment une source de joie pour la préfète des Serpentards et elle seule savait pourquoi. Elle avait une bonne raison, ce n'était pas seulement le fait de quitter le seul véritable foyer qu'elle avait : la petite maison en banlieue londonienne dans laquelle elle vivait avec son père. Non. Elle n'avait plus de foyer, en réalité. Plus depuis le jour où son père et elle avaient quitté l'Irlande à la suite de la mort de leur épouse et mère. Un veuf et une jeune orpheline de neuf ans à peine, débarquant fraîchement dans la ville anglaise. Dure époque, dure époque...

Sur le quai de la gare, Laureleen venait de quitter son père. Enfin, c'était plutôt lui qui avait dû partir, il avait beaucoup de travail au Ministère. Elle lui avait trouvé l'air vieilli, fatigué malgré le fait qu'il soit encore assez jeune. La jeune fille voulait aussi éviter les adieux déchirants comme cela avait été pour ses deux premières rentrées à Poudlard. Contrairement aux autres, elle ne s'y sentait pas trop en sécurité. Personne ne l'était lorsqu'elle était dans les parages.

La Serpentard voulait éviter de sombrer encore et encore dans ses pensées obscures, déprimantes. Elle s'apitoyait sur son sort, elle devait se reprendre un peu, sourire. La lycanthropie n'était pas si terrible que ça, après tout. Qui donc pouvait se vanter d'être loup trois nuits par mois, de sentir les odeurs et entendre les sons dix fois mieux qu'un être humain ? Laureleen aurait été un peu plus contente de sa situation si elle n'était pas obligée de rester cloîtrée dans la Cabane Hurlante. Si au moins elle avait eu le droit de sortir dans la forêt interdite, elle en aurait ressenti un petit contentement.

Le quai 9 3/4 était bondé, les élèves de tous âges disant un dernier au revoir à leurs familles. Laureleen, traînant ses deux valises derrière elle, essayait tant bien que mal de se frayer un passage dans la foule. Elle s'efforçait de ne pas pleurer, de ne pas se dire qu'elle n'avait plus de famille. Trop mauvais pour le moral et l'image, déjà pas terrible, qu'elle donnait aux autres.

Une fois montée dans le train, la jeune Irlandaise se trouva un compartiment libre et en ferma la porte. Elle s'assit sur la banquette, près de la fenêtre, et plongea dans ses pensées au bout de deux ou trois minutes. Le train devait partir dans quatre minutes et tous ces gens ne semblaient jamais pouvoir s'y résoudre, ne pas vouloir se séparer. C'en était presque écœurant, de les voir s'embrasser et s'étreindre ainsi...

Soudain, la porte du compartiment s'ouvrit et Laureleen perçut une voix féminine, un peu haut perchée, lui adresser la parole. Une fillette lui demandait si elle pouvait s'assoir dans le même compartiment qu'elle. Tiens, elle devait être en première année, encore innocente et ignorante...

- Entre seulement, répondit Laureleen d'une voix neutre en levant ses yeux acier sur la fillette blonde.

Il se passa quelques instants durant lesquels la préfète ne pipa mot, jugeant qu'elle n'avait strictement rien à dire. Ses longs cheveux noirs encadraient son visage mince et pâle, tel un rideau noir et infranchissable, et reposaient sur ses épaules. Bientôt, le train s'ébranla, se mit en route et quitta la gare. Ce ne fut que lorsque Londres eut laissé la place aux espaces verts et coquets de la campagne anglaise que Laureleen se décida à discuter un peu :

- Tu es en première année ? demanda-t-elle de sa voix légèrement éraillée.

Gabrielle resta poliment à l'entrée du compartiment, n’osant pas s’imposer. Elle avait toujours eu du mal à être vraiment elle-même avec des gens qu’elle ne connaissait pas. Cette timidité, cette peur de faire le premier pas, la complexait, elle aimerait tellement être ouverte comme sa sœur et ne pas craindre de dire ou de faire ce qu’elle avait envie.

"Entre seulement" lui répondit une jeune fille qui devait être en sixième ou septième année.

Gaby entra et rangea ses bagages. Tout d’un coup le train se mit en marche et elle eut tout juste le temps de s’agripper au mur pour éviter de tomber. Elle rougit, incroyablement gênée d’avoir failli s’étaler par terre devant une inconnue. *Super Gaby, vraiment super première impression !* pensa-t-elle, en colère contre elle-même.
La jeune vélane se tourna vers sa co-passagère, prête à recevoir des moqueries, mais heureusement celle-ci n’avait rien vu. Elle admirait paisiblement le paysage. Soulagée, Gabrielle finit par s'installer vis-à-vis de la jeune fille.

Elle profita que celle-ci ne faisait pas cas d’elle pour la dévisager. Elle savait que ce n’était vraiment pas poli de fixer quelqu’un (et sa mère aurait eu horriblement honte si elle savait) mais elle ne pouvait pas s’en empêcher. Elle paraissait bien énigmatique et à mille lieux d'elle. Elle était tout ce qu'elle n'était pas : grande, brune et mystérieuse. Il y avait vraiment une aura de mystère autour d’elle mais aussi de la mélancolie, de la tristesse même. Il se dégageait aussi quelque chose de particulier chez elle mais elle ne saurait définir quoi exactement.

Apparemment c'était une Serpentard et visiblement cela avait une mauvaise réputation à Poudlard. D'après ce qu'elle avait vu l'année précédente il existait une rivalité farouche entre Serpentard et Gryffondor, et il y avait une méfiance générale vis-à-vis de cette maison. Il semblerait que tout le monde assimilait Vous-savez-qui et les mages noirs avec Serpentard mais Gabrielle refusait de faire l’amalgame. Ce n’était pas parce que beaucoup de sorciers avaient tourné mal dans cette maison que c’était le cas pour tout le monde. Et en plus, elle était certaine que cela concernait aussi les autres maisons.

Elle détestait vraiment les stéréotypes, Merlin sait que les vélanes en étaient souvent les victimes ! Tout le monde se faisait une idée sur les vélanes, que c’était des manipulatrices qui utilisaient leur beauté pour obtenir tout ce qu’elles désirent. Comme des mantes-religieuses. Gaby détestait vraiment cet esprit étroit, toutes ces idées reçues et elle se jura d’être impartiale et neutre envers tout le monde.

Tout d’un coup, elle fut sortit de ses pensées par une voix légèrement éraillée :

« Tu es en première année ? »

*Oh, elle a décidé de ne plus m’ignorer.* Cela la surprenait, après tout elle n’avait pas été étonnée quand la jeune Serpentard ne lui avait plus adressé la parole. C’était pour ainsi dire normal, après tout elle n’avait que 11 ans et elle devait avoir au moins 16. Elle n’était qu’une enfant pour elle et n’aurait donc vraiment rien à lui dire. *C’est vraiment gentil de sa part* se dit la petite fille.
Gabrielle secoua sa chevelure blonde et lui fit un grand sourire :

« Oui, et je viens d’arriver de France. Je m’appelle Gabrielle Delacour, et toi tu t’appelles comment ? »

Laureleen restait incroyablement impassible, même lorsque la fillette faillit s'encoubler et s'étaler devant elle au démarrage du train. Cela dépendait de son humeur, des fois elle se moquait comme une véritable Serpentard, d'autres fois c'était par réflexe de défense. Pour éviter d'être touchée émotionnellement, d'ébranler le peu de confiance en elle qu'elle avait. En cet instant présent, la préfète ne dit rien. Ce n'était pas elle qui se moquerait des autres par simple plaisir ou méchanceté. Pas elle, pas elle qui subissait les regards mauvais des autres et leurs remarques désagréables.

La Serpentard fut étonnée d'entendre dire que le fillette prénommée Gabrielle venait de France. Et son nom de famille ne lui était pas inconnu. Elle l'avait déjà entendu l'année dernière, lors du Tournoi des Trois Sorciers. La championne de Beauxbâtons s'appelait Fleur Delacour et elle ressemblait beaucoup à cette jeune fille assise devant elle en ce moment même.

- Tu es française ? Tu as déménagé à Londres ? Moi, je suis Irlandaise... dit Laureleen.

En tout, elle ne fit pas mention de sa sœur aînée. Laureleen était fille unique mais elle savait qu'elle n'aimerait qu'on lui dise sans cesse "Ah, tu es la sœur de Machine, la petite sœur de Truc...". À la fin, ce serait lassant, même si elle vouerait une véritable admiration à son frère ou à sa sœur qu'elle n'avait pas. Elle voulait juste être anonyme, anonymat était synonyme de tranquillité.

-Je suis Laureleen Peters, préfète de Serpentard, se présenta-t-elle finalement.

C'était marrant, elle faisait rarement allusion à son rang de préfète. Ses condisciples la respectaient pour cela mais vu qu'ils ne la connaissaient que très peu, il était difficile de dire qu'ils la respectaient pour autre chose. La jeune Irlandaise passa une main dans ses cheveux et reporta un instant son regard sur le paysage typiquement anglais qui défilait par la fenêtre du train. Et voilà, elle resterait à nouveau coincée dans cette fichue Cabane, la Cabane Hurlante qu'elle détestait tant et qui lui causait tant de soucis. Elle devait se dépêcher d'y aller avant que la pleine lune ne soit à son zénith et sortir de la salle commune de Serpentard n'était pas du tout cuit. Mais Laureleen avait acquis une certaine technique en matière de passer inaperçue, d'être totalement invisible.

- Tu as déjà une petite idée de la maison dans laquelle tu vas être envoyée ? demanda Laureleen après un nouvel instant de silence.

Elle se rappelait sa première année à Poudlard, cette école dont elle ne savait rien... Et elle avait été envoyée à Serpentard... Elle détaillait Gabrielle du regard, comme pour deviner son caractère. Elle ne le faisait pas par méchanceté, juste par réflexe. Ouais, Laureleen était une fille assez bizarre en fin de compte.